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En paix

En paix.

Il faisait chaud. Je remontais dans ma voiture après une pause déjeuner plutôt agréable sur la terrasse d’un Brioche Dorée d’autoroute et m’apprêtais à repartir quand je la vis assise sur le bord du trottoir, la tête entre les mains. En fait, je l’avais remarquée un peu avant lorsqu’en arrivant à ma voiture j’avais apprécié ses jambes. Elle était en train de téléphoner et maintenant elle pleurait, ça ne faisait aucun doute. Derrière mon volant, j’observais un autre homme seul qui s’était arrêté avant d’ouvrir sa portière et qui la regardait lui aussi à quelques mètres de là, misérable. Il a hésité, a ouvert sa portière et s’est assis. Je ne l’ai pas vu repartir, j’étais déjà sorti et me dirigeais vers elle.

- Qu’est-ce qui vous arrive ?

Je m’étais assis à sa gauche sur la bordure de trottoir les genoux remontés plus hauts qu’elle, elle était plus petite et mince. Elle leva ses yeux mouillés vers moi :

- Je viens de perdre ma mère.

J’ai passé mon bras autour de ses épaules sans rien dire, elle a laissé aller sa tête sur mes genoux, elle avait tout à pleurer. Je ne bougeais pas, le silence recueillait ses larmes et ses cheveux épais et bouclés m’embaumaient de leur fraîcheur, le parfum du shampooing. Elle a pris son souffle une ou deux fois mais ça continuait de venir. Quand elle a relevé la tête, j’ai dit : «Prenez votre temps.», elle a dit : «Elle ne m’a pas attendu.», j’ai dit : «elle ne l’a pas choisi.». Elle a dit : «Je sais.»

Sa mère venait de mourir. C’est l’hôpital qui venait de lui annoncer au téléphone. Elle avait quitté Montpellier en urgence et se rendait à Montargis pour la voir une dernière fois. Elle arrivait trop tard. Elle m’avait dit sa mère mais en fait c’était sa grand-mère, elle disait sa mère parce que c’est elle qui l’avait élevée. En 4 mois ajouta-t-elle, 4 décès : le père de mon fils, ma belle-mère, mon divorce et elle.

- Je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça

- Parce qu’il fallait que ça sorte.

- Oui, parce qu’il fallait que ça sorte

C’était sur le chemin de la cafétéria. Je lui avais offert un café et elle avait accepté. Elle s’est mise en terrasse pendant que je commandais, j’ai ramené des serviettes et lui ai dit : «j’ai pensé que ça ferait de bons mouchoirs», ça l’a fait rigoler.

Et puis on a parlé. De la vie qui va mal, celle des hommes et de la planète. De nos métiers, du hasard et des signes, du karma et du libre arbitre, des vibrations qu’on n’entend pas ou qu’on décide de suivre, comme cette rencontre qu’elle a fait alors qu’elle vivait à Londres qui l’a menée à être initiée au shiatsu. Elle est coiffeuse énergéticienne, moi je soigne les hommes dans l’entreprise, on fait le même métier. Je lui ai parlé de Stefano qui lui aussi m’avait quitté avant de m’avoir tout dit et qui, contre toute attente, m’avait fait un signe le jour de la cérémonie. J’ai pu parler de devenir franc-maçon tellement naturellement. Ses yeux dilués gardaient toute leur intensité. «Merci infiniment» m’a-t-elle dit plusieurs fois. Je n’oublierai pas ses yeux.

Puis on a fini son déca et mon thé et on s’est levé. Sa voiture était dans la même direction que la mienne, je ne sais plus si on s’est dit grand-chose. Arrivé à hauteur de la mienne, je lui ai demandé si je pouvais l’embrasser. Elle s’est avancé, elle m’a donné ses joues et elle m’a enlacé. Fort, longtemps, j’ai fait comme elle. J’ai déposé dans son oreille quelques mots pour elle : «soyez forte» et «il y a encore plein de beaux moments devant vous». Elle s’est détachée de moi et m’a souri, puis nous nous sommes séparés.

Elle s’appelait Patricia.

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